N°39 L'AMANT DE LADY CHATTERLEY
de D.H. Lawrence (1928)
Attention : les choses se compliquent. Il ne faut pas confondre David Herbert Lawrence, dit «D.H. » (1885-1930), avec T.E. Lawrence, dit Lawrence d'Arabie, qui vécut à la même époque (1888-1935), mais ne figure pas à la 39e place de notre hit-parade car il n'a pas écrit L'Amant de Lady Chatterley.
Il s'agit d'un roman un peu leste qui choqua les gens par sa crudité en 1928 : publié en Italie, il fut censuré en Angleterre et en Amérique jusqu'à la fin des années 1950. Beaucoup de romans de notre liste ont été censurés à leur sortie, comme si pour faire partie du hit-parade du siècle il fallait absolument faire scandale : Lolita, Ulysse, et Lady Chatterley's Lover (aujourd'hui c'est surtout le nom de « Chatterley » qui provoque quelques gloussements dans les pays francophones) (il est vrai que choisir d'appeler « Chatterley » un personnage de bourgeoise nymphomane, il fallait oser).
Lady Chatterley n'a pas froid aux yeux, la coquine. Il faut dire que son mari Clifford est paralysé du bas à la suite d'une blessure de guerre, ce qui n'est pas le cas du garde-chasse, Oliver Mellors, un homme certes moins raffiné mais plus viril. A l'époque, on négligeait la jouissance féminine. Madame Chatterley revendique donc le droit à l'orgasme dans le pays le plus coincé du monde. Connie Chatterley est l'Emma Bovary d'outre-Manche, mais aussi l'ancêtre de toutes nos jeunes romancières obsédées par leur corps; elle avait juste 70 ans d'avance sur Claire Legendre, Alice Massat ou Lorette Nobécourt.
On aura compris que L'Amant de Lady Chatterley est avant tout un hymne à la sexualité amoureuse, à la vérité des sens plutôt qu'au puritanisme, mais aussi à la liberté contre la morale, à l'infidélité contre le mariage, à la nature contre la société, et au mélange des classes. Déjà, dans une lettre de 1913, DHL (qui, malgré ses initiales, ne faisait pas porter ses missives par coursier) déclarait : « Que m'importe la connaissance? Tout ce que je veux, c'est répondre à mon sang, directement, sans intervention futile de l'intellect ou de la morale ou de toute autre chose ». Quinze ans plus tard, D.H. Lawrence va plus loin que son sang : l'arrivée du sexe dans la vie de Lady Chatterley constitue selon lui une révolution analogue à la bombe à retardement marxiste. Le plaisir est politique!
Lawrence rêve d'une « démocratie du toucher », capable de transcender la lutte des classes. Ah... Si les riches couchaient plus souvent avec les pauvres... Le monde serait plus uni (en outre, les pauvres sont de meilleurs coups, d'où l'intérêt des vacances en camping). D.H. Lawrence est sans nul doute le premier initiateur de ce que l'on a appelé la révolution sexuelle, cette transformation des mœurs qui, comme chacun sait, a eu lieu entre 1965 (arrivée de la pilule) et 1982 (débarquement du sida), et se trouve enterrée depuis.
D. H. Lawrence a écrit de nombreux livres beaucoup plus intéressants que cette œuvre olé-olé, ce « bouquet génital » (l'expression est d'Henry Miller) qui fut la dernière œuvre de sa vie (on pense à Femmes amoureuses et au Serpent à plumes)et pourtant c'est celle-ci que l'histoire littéraire a retenue. Conclusion : la postérité est une poule de luxe encore plus infidèle que Lady Chatterley (dont le modèle, l'Allemande Frida von Richtofen, cocufiait allègrement Lawrence, avec sa bénédiction). Quant au scandale, la méthode fonctionne toujours : regardez American Psychode Bret Easton Ellis et Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq, qui furent lancés par la polémique. Quand le tintamarre s'apaise, il reste deux romans essentiels de la fin de ce siècle, qui méritaient de figurer sur cette liste (si le sondage avait lieu dans 20 ans, nul doute qu'ils y auraient été inscrits d'emblée).
Bien sûr j'aurais aussi pu vous raconter mes expériences sexuelles avec les animaux et certains fruits et légumes mais ce sera pour une prochaine fois.